Aujourd’hui j’ai le plaisir d’accueillir Pierre LAURENT, expert  en armes, munitions, balistique et pyrotechnie près la Cour d’Appel de Paris.

Peux-tu te présenter et résumer ton parcours exceptionnel aux lecteurs de police-scientifique science ?

Je ne sais pas dans quel sens il faut entendre l’adjectif « exceptionnel ».
D’extraction modeste, le niveau d’exigence scolaire des années 70/80 m’a permis d’être ingénieur à 22 ans.
J’ai ensuite fait mon service militaire comme « aspi » instructeur dans les Troupes de Marine, ce qui fut une expérience marquante.
M’intéressant depuis tout petit à ce qui explosait ou permettait d’envoyer des projectiles, je me suis fait recruter ensuite comme concepteur d’armes (notamment la GR FL PAB 40mm APAV de l’armée française).
Mon patron de l’époque avait rédigé les articles sur les armes légères dans l’Encyclopedia Universalis et l’entreprise était RAQ1 (équivalent militaire de l’ISO 9000). Ce fut là aussi une expérience intéressante.
J’ai ensuite évolué vers des fonctions d’industrialisation chez divers employeurs, y compris à l’étranger.
Etant passé par le développement des procédés, les méthodes, la maintenance, les achats, la direction d’usine et la direction technique, j’en serai peut-être venu à écrire des bouquins sur l’organisation industrielle si le virus des armes n’avait pas continué à me contaminer.
C’est en 1998, poussé par un ami magistrat, que je m’étais signalé à la Cour d’Appel. Peu de temps après, un accident grave et incompréhensible survenait sur une pièce d’artillerie.
C’est en étant à la fois ingénieur, pyrotechnicien, artilleur et militaire que je suis suis parvenu à résoudre l’énigme.
Nommé quelques mois plus tard expert agréé, je n’avais plus qu’à me former…

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Peux-tu nous présenter la Compagnie des experts en Armes et Munitions près les Cours d’Appel ainsi que ses activités ?

La Compagnie regroupe depuis 1979 une soixantaine de membres dont 25 sont agréés près les Cours d’Appel.
Les membres de la Compagnie ont des spécialités et des parcours très divers mais sont toujours, par passion, parmi les plus pointus dans leurs domaines : histoire, armes anciennes, armes modernes, munitions, balistique, balistique des coups, criminalistique, pyrotechnie, techniques de fabrication, législation, trafics internationaux, sûreté, doctrine d’emploi, tir de chasse, tir sportif.
Toujours dans le but de servir la Justice et donc la société, la Compagnie assure :
– des formations continues, le partage de l’information entre ses membres,
– entretient un réseau relationnel avec le CNCEJ (Conseil National des Compagnies d’ Experts de Justice), les experts d’autres spécialités, les ONG et les institutions,
– se positionne – en matière d’armes – en faveur d’une législation plus simple et plus efficace.

Qui peut devenir membre de la Compagnie des experts en Armes et Munitions ?

Il n’y a aucune condition de diplôme ou autre.
Les profils sont très variés au sein de la Compagnie.
Il n’est pas non plus nécessaire d’être expert agréé par une Cour d’Appel.
Par contre, clairement, le recrutement est très sélectif avec dossier de motivation, enquête et jury d’admission.
Le fait d’être expert déjà agréé ne suffit pas forcément à passer l’épreuve du « Jury » devant le bureau de la Compagnie.

Comment t’es venue cette passion pour les armes et tout ce qui gravite autour ?

Je ne sais pas trop, sans doute une frustration ?
Je perçois déjà les psys qui se réveillent…
En effet, mon grand-père qui avait été tireur d’élite au 1ier RI vers 1920, qui avait été résistant et qui avait brulé sa carte du parti en 1956 ne m’avait jamais montré le pistolet qu’il avait conservé par-devers lui « au cas où » après la guerre. Pourtant ce n’est pas parce que j’avais 5 ans qu’il fallait me cantonner à la baïonnette de Chassepot qu’il avait sous son lit !

Que penses-tu des dernières évolutions de la législation sur les armes ?

Pas beaucoup de bien.
La transposition en 2013 de la directive européenne devait être l’occasion de faire enfin simple et efficace.
Cette opportunité a été clairement ratée en dépit du fait que la législation de 2013 présentait une certaine cohérence.
De plus, c’est cette cohérence qui est progressivement mise à mal. Par exemple, le surclassement prochain en catégorie A des « black rifles » civils (aujourd’hui en catégorie B) n’a aucune sens dans la mesure où la détention de ces armes resterait possible avec autorisation préfectorale.
Or, cette possibilité est justement ce qui caractérise la catégorie B alors que la catégorie A est celle des armes interdites.
De mon point de vue, soit on laissait ces armes en catégorie B (et cela ne posait aucun problème puisqu’il n’y a jamais de difficulté avec ces armes détenues avec autorisation et toutes les garanties nécessaires), soit on les passait en catégorie A et on interdisait purement et simplement (et là il faut assumer politiquement d’aller expliquer à 50000 détenteurs légaux pourquoi on leur expropriait leurs armes chèrement acquises !).
Un autre exemple : les textes n’allant que vers des durcissements, l’administration considère qu’il suffit de traiter le flux et pas le stock (ce qui a l’avantage de ne pas avoir à mettre de moyens en place pour traiter le stock). Tant qu’il s’agissait des fusils de chasse à 2 canons, cela allait encore. Maintenant que ce principe va être généralisé aux armes à blanc, aux armes neutralisées, sont créées les conditions d’une insécurité juridique inacceptable.
Si demain, des armes libres doivent passer en catégorie C (armes soumises à déclaration), alors il faut prévoir que ces armes soient déclarées et pas que leur régime soit variable en fonction de leur date d’acquisition. Comment veut-on que les justiciables, les forces de l’ordre et les magistrats s’y retrouvent sinon ?
Enfin, le surclassement des armes neutralisées (donc définitivement inaptes au tir) en catégorie C n’a aucun sens technique. Le pire c’est que cela résulte d’une incapacité de nos plus hauts politiques à comprendre la différence technique entre armes neutralisées et armes à blanc.
Coulibaly a commis ses méfaits avec des armes à blanc remises en état ? qui plus est de manière suffisamment embarrassante pour justifier le secret défense ?
La réaction immédiate est de pousser Bruxelles à légiférer en urgence sur les armes neutralisées !!

Lorsque l’on voit que des personnels de la Gendarmerie Nationale collaborent dans l’Oise avec des chasseurs, il me vient une question : Penses-tu qu’un port d’arme citoyen légal, bien plus accessible que l’actuel (qui est rarissime), tout en étant bien évidemment très encadré , puisse être un moyen efficace de  lutte contre les assassinats de masse d’origine terroriste qui malheureusement s’installent en France ?

Cela marche plutôt très bien ailleurs à tel point que les missions d’étude françaises se succèdent en Israël pour voir comment la sécurité est organisée là-bas !
Mais, en Europe, la priorité n’est pas de pouvoir réagir à des attentats mais de désarmer la population.
Pas question de la faire participer à la résilience de la société !
Il n’est que de constater les débats qu’ont suscités les initiatives de la Gendarmerie dans l’Oise. On parle d’une collaboration avec les chasseurs dans le domaine du renseignement ?
Les bonnes âmes s’insurgent de ce que l’on sollicite des hommes « armés » formés en « milices ».
Pourtant le fait d’être armés dans l’exercice de leur activité cynégétique, ne rend pas les chasseurs aveugles, juste peut-être un peu sourds…

Peux-tu nous dire ce que tu penses des évolutions de la munition 5,56 OTAN ou NATO pour les anglo-saxons ? N’a-t-on pas perdu beaucoup de ses performances balistiques initiales, qui plus est en l’utilisant dans des canons de plus en plus courts ?

L’évolution des techniques et des tactiques est telle que l’infanterie n’est plus l’arme des 300 derniers mètres mais qu’il lui faut engager et répondre à des distances doubles ou triples.
Les pertes subies en opération par notre armée aujourd’hui résultent d’embuscades avec explosifs ou snipers…C’est ainsi que le 7,62 mm revient en odeur de sainteté.
Le 5,56 mm qui était le juste suffisant ou le juste nécessaire au Vietnam, est devenu insuffisant en Somalie en milieu urbain surtout avec les canons courts genre M4 qui grèvent la vitesse initiale.
Quant aux fusils à canon hyper-courts du RAID…au-delà de rendre instantanément sourd le tireur, on a vu les résultats médiocres lors d’actions récentes contre de vrais ennemis.
Ce n’est donc pas un hasard si le GIGN (Groupe d’ Intervention de la Gendarmerie Nationale) vient de s’équiper en fusils d’assaut en calibre 7,62×39 mm soviétique…
Les turcs viennent également de choisir une arme en calibre 7,62×51 OTAN pour le remplacement de leurs G3.

Par contre, l’Armée Française vient de laisser tomber la configuration « bullpup » du FAMAS au profit d’un HK 416 en 5,56 mm qui n’est autre qu’un M16 américain remis au goût du jour. Sauf qu’avec le HK 416, on ne peut pas avoir à la fois une arme courte et le canon long qui exploite la quintessence de la munition. Le fusil a d’ailleurs été acheté avec deux longueurs de canon différentes…A suivre !!

J’aimerai profiter de ta présence pour tenter de mettre fin à un débat que je ne cesse d’entendre et où l’on écrit beaucoup de choses fausses, à savoir : Hormis la puissance, y’a-t-il des différences dimensionnelles entre l’étui de la munition de calibre .223 Remington et celui de la 5.56 mm OTAN ?

Les différences ne sont pas tant au niveau des munitions que des armes, même si les étuis militaires sont généralement plus épais pour mieux encaisser l’utilisation dans les mitrailleuses. Les cônes de raccordement sont bien plus longs sur le 5,56 mm OTAN que sur le .223 Remington.
Ainsi une cartouche de 5,56 mm OTAN, à balle lourde (4 grammes et plus), peut se retrouver en théorie avec un projectile en quasi-contact avec le cône de raccordement d’une chambre .223 un peu serrée.
Dans ce cas, la pression grimpe et ce n’est pas très bon.
Donc, on peut tirer toute cartouche .223 Remington dans une chambre 5,56 mm OTAN. L’inverse est souvent vrai mais il faut faire attention en fonction du caractère serré ou pas de la chambre.
Aux Etats-unis le Sporting Arms and Ammunition Manufacturers’ Institute (SAAMI), l’équivalent de la Commission Internationale Permanente pour l’épreuve des armes à feu portatives (CIP) suggère d’ailleurs vivement de ne pas tirer de munitions militaires 5,56 mm OTAN dans les armes civiles chambrées en .223 Remington.

Quel est ton calibre de prédilection  ?

Je n’en ai pas !!
Le calibre est toujours un compromis en fonction de l’utilisation.
Après, pour un pistolet de port discret, on fait difficilement mieux que le 9 mm Parabellum dans une arme plate.
Il y a des armes très intéressantes pour cela chez KAHR ou chez HS (le nouveau XDS). Mais en un peu plus lourd, je suis nostalgique du S&W Mle 39.

Et quelle est ton arme préférée ?

En arme de poing, je tire pas mal avec un HS9 en 9 mm Parabellum.
Mais j’aime bien aussi le .38 Special dans un S&W Master 52, un Colt Trooper MkIII ou un S&W 19.
Finalement, à part le HS 9, je tire beaucoup avec des armes qui sont devenues des « classiques ».
En arme longue, pour du tir d’action, j’aime bien le VZ 58 tchèque mais la munition 7,62x39mm manque d’allonge.
Comme j’aime assez les armes semi-automatiques, il me faut tester prochainement une SKS dont le canon va tirer la quintessence du 7,62×39 mm et un BM59 en 7,62x51mm.

Quel est ton meilleur souvenir ou bien ta plus grande satisfaction dans la pratique de ton métier ou devrais-je plutôt dire tes métiers d’expert ?

Là aussi, je ne vais pas aller identifier quelque chose de spécifique même si certaines missions ont pu être plus marquantes par leur originalité ou leur technicité comme par exemple le dimensionnement balistique du grand stand national de la FFTir (Fédération Française de Tir) pour SOGEA/VINCI.
Dans certains cas, les expertises sont plus ou moins une routine nécessaire mais qui ne vont pas influer grandement sur le procès.
Dans d’autres cas, le bon expert va découvrir l’élément déterminant qui fera avancer la compréhension d’un dossier complexe.
Et c’est là une grande satisfaction lorsque l’expert se sent non seulement utile mais pleinement dans son rôle et dans son utilité au profit de la Justice.

Et quel est ton pire souvenir dans la pratique de ton métier d’expert en armes, munitions, pyrotechnie et balistique ?

J’interviens souvent aux Assises, gages d’une justice de qualité à laquelle l’expert contribue à son petit niveau. Mais il m’est arrivé à 2 reprises d’en ressortir furieux lorsque manifestement la réalité balistique ne correspondait pas à certaines attentes…
Et je ne parle pas ici des avocats qui dépassent parfois les bornes et ne recherchent pas forcément la vérité.
Mais bon, ce sont 2 exceptions qui confirment la règle, les débats étant d’habitude menés par des magistrats qui sont remarquables d’impartialité et d’honnêteté intellectuelle.

Les experts en armes, munitions, pyrotechnie  et balistique ? Sont assez rares en France et il est difficile de trouver un parcours pour se former dans ces disciplines : Aurais-tu un conseil sur la bonne direction à prendre pendant et après ses études pour les personnes qui souhaitent devenir expert en armes à feu ou bien en balistique ?

Il n’y a pas de profil type pour devenir expert en balistique indépendant.
Certains y arrivent en étant armuriers, d’autres ingénieurs, d’autres militaires ou policiers dans des fonctions bien spécifiques…
Après, il ne faut considérer l’expertise indépendante comme un but ou un débouché professionnel.
Les experts judiciaires sont supposés être des collaborateurs occasionnels de la Justice mus par la passion d’un domaine qui dérive d’une activité professionnelle principale.
Pas simple puisque le métier de balisticien n’existe pas…
De fait nous ne sommes que deux en France à en faire en quelque sorte « profession ». Et encore, dans mon cas, je fais aussi un peu de formation et du conseil pour des industriels.
Les autres confrères ont un vrai métier ou sont en retraite…
A coté de l’expertise indépendante, il y a aussi en France l’expertise dans les institutions d’Etat (Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale ainsi que l’ Institut National de Police Scientifique).
Mais les places sont rares et les profils tous aussi variés que chez les indépendants.

Le site police-scientifique.science est fréquenté par de nombreux experts, professionnels, retraités et personnels de la police scientifique du monde entier (Etats-unis, France, Belgique, Suisse, Canada, Afrique, etc…) : pour le mot de la fin, as-tu un message pour la famille forensique mondiale ?

Dois je avoir cette prétention ?
J’ai cependant une conviction.
Que l’on soit indépendant ou étatique, que l’on soit expert ou technicien de scène de crime, il est impossible d’être bon si on n’est pas passionné par ce que l’on fait (le domaine technique) et par la finalité (éclairer la Justice).

Tout à fait d’accord avec cette phrase de fin et merci beaucoup Pierre LAURENT pour avoir accepté cette interview !

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