La trace ne saurait être en aucun cas un échantillon du fait de son unicité et parce que l’échantillon implique son appartenance à une grande quantité de produits identiques lui faisant référence.

Selon la définition de Larousse, il s’agit d’une « Petite partie de marchandise servant de référence à une fabrication ou à une fourniture : Échantillon de tissu, de papier peint » ou « ensemble représentatif d’une ‘population mère’ possédant les mêmes caractéristiques. »

Dans le cadre du choix de l’expert travaillant sur des volumes importants de matière stupéfiantes, l’échantillonnage nécessaire doit impérativement représenter qualitativement (composition, hétérogénéité…) l’intégralité du contenu, et de sa source.
Ceci est d’autant plus important qu’un des enseignements, le profil des impuretés, permettra de remonter potentiellement aux réseaux de fabricants notamment par comparaison avec l’analyse de saisies au niveau du réseau de distribution voire des consommateurs eux-mêmes.

Ce cas d’espèce reste spécifique car le traitement de la trace se confronte le plus souvent à son caractère microquantitatif.

Toutefois l’échantillonnage s’imposera dans chaque circonstance où l’expert doit se constituer lui-même sa base de données comparative de référence.
Comme, par exemple, dans l’affaire du talc Morhange pour laquelle des lots de production nombreux ont été analysés pour qu’une comparaison soit possible avec celui incriminé ou dans l’affaire de la Josacine contaminée par du cyanure et pour laquelle de nombreux lots de josacine mais aussi de cyanure de provenance diverse ont servi de références aux experts pour tenter d’identifier l’origine du ou des produits toxiques notamment par le biais du profil de leurs impuretés.

échantillon spécimen trace

 L’affaire de la Josacine concerne la mort d’une petite fille de 9 ans empoisonnée par ingestion du médicament (Josacine) confié par sa maman aux amis qui l’avaient en garde le week-end. Du cyanure est rapidement identifié comme cause de sa mort. Après avoir dédouané le médicament d’une éventuelle malveillance lors de sa fabrication, les soupçons se portent sur de l’amant de l’amie qui gardait la jeune fille et l’hypothèse de l’erreur sur la victime constitue la suite du procès. La personne visée par l’empoisonnement aurait été le compagnon de l’amie. Le cyanure pouvait avoir diverses provenances et les conditions potentielles de son acheminement jusqu’au flacon de Josacine ont donné lieu à de nombreuses hypothèses et analyses.
L’affaire du talc Morhange concerne la mort de 36 nourrissons et l’intoxication de 168 autres dans les années 1970 suite à l’emploi de talc contaminé par des quantités importantes et toxiques d’hexachorophène, suite à une erreur de manipulation industrielle.

 

De l’échantillon au spécimen ?

La notion de spécimen est proche de celle d’échantillon, la représentativité en moins.
En ce sens, elle se rapproche de celle de la trace mais sans le caractère unique et imparfait qui prive le scientifique d’un choix.

Selon Le Larousse, c’est un « être ou un objet qui donne une idée de l’espèce, de la catégorie dont il fait partie ». Mais Larousse confond les deux termes lorsqu’il ajoute « exemplaire ou échantillon (en particulier revue, publication…) offerts gratuitement. ».
Le Littré a la même acception, le dictionnaire académique réserve au spécimen le sens de modèle et d’échantillon mais en parlant d’ouvrage scientifique ou d’édition nouvelle.

En matière de police scientifique, la difficulté se tient précisément là : la trace disponible, même parfaitement analysée, est-elle représentative de son auteur ?

L’expert avec les outils de plus en plus performants dont il dispose et la maîtrise de leur qualité, est réduit à une probabilité qu’il doit évaluer.
Contradictoirement, ces outils à la sensibilité de plus en plus élevé, n’obèrent pas la mauvaise qualité d’un prélèvement lors de l’autopsie par exemple.

Détecter une teneur précise, au picogramme près, d’un toxique dans un liquide hématique dont on ne peut garantir qu’il ne s’agit pas de sang cardiaque contaminé par du liquide gastrique, ou le résultat d’une recirculation post mortem, n’a pas de sens (ce cas de figure n’est pas exceptionnel lorsque le geste est pratiqué par ponction externe à l’aide d’une grande aiguille sur un cadavre très maigre).

En revanche, la présence d’une quantité peu précise mais importante de ce même toxique dans du sang veineux périphérique est le témoignage quasi obligé d’un empoisonnement.
Il importe que le prélèvement de la trace soit entouré du maximum de garanties, de descriptions et de contrôles techniques de ses caractéristiques par le préleveur qui ne doit cependant jamais s’affranchir du doute de la contamination.
Ceci est particulièrement vrai pour les traces biologiques et les prélèvements sur cadavre.

Toutefois, la difficulté technique peut conduire le préleveur à renoncer volontairement au recueil de tel prélèvement dont l’intégrité ne serait pas assurée par son geste (cadavre exsangue, restes humains décomposés ou difficilement accessibles…).
Ceci peut être dommageable car même partielles et imprécises, les informations données par leur analyse peuvent être essentielles et orienter les recherches suivantes.

Se focaliser sur les traces les plus parlantes pour remonter à la source est une tendance actuelle des experts notamment avec la vulgarisation de l’analyse de l’ADN et ce, malgré l’ubiquité de ce type de traces.
A cet égard Pierre Margot donne l’exemple de l’information qui serait perdue si l’observation d’une trace de semelle de chaussure de mauvaise qualité était négligée : « cela peut être une vague forme (sans dessin de semelle spécifique) mais qui donne une information assez précise sur la pointure, l’orientation du déplacement, la présence d’un talon et peut-être d’une usure. Cela ne permet pas d’identifier le soulier, mais la taille permet d’exclure éventuellement toute une série de suspects (surtout si la pointure est particulièrement grande ou petite) et l’orientation permet d’imaginer un déplacement vers un meuble/objet qui peut porter d’autres traces. » Il estime également que « L’expert en documents qui ne fait pas l’analyse d’un document parce qu’il s’agit d’une copie et non d’un original n’a rien compris à son rôle. La copie est peut-être le seul spécimen qui constitue la trace matérielle, son étude peut être tout à fait pertinente même si des réserves doivent être émises. »

 

Etude de cas illustrant la nécessité de ne pas négliger arbitrairement certaines traces

Au printemps 2004, en banlieue nord de Paris, le cadavre d’un homme d’une quarantaine d’années présentant des marques de violence est découvert étranglé dans sa cuisine.

Des scellés divers sont réalisés avec méthode sur la scène de crime et des prélèvements biologiques sont pratiqués à l’autopsie et adressés au laboratoire de toxicologie.
Dans un premier temps, l’analyse des traces ne permet pas de faire un lien entre le meurtre présumé et une cause possible.

L’analyse toxicologique du sang révèle la présence d’un médicament anticancéreux à concentration pharmacologique normale.
Les renseignements d’enquête indiquent qu’il s’agit effectivement d’un patient atteint d’un cancer et qu’il est traité à domicile pour cette affection et pour les douleurs chroniques insupportables qui lui sont liées avec un opioïde de synthèse.

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Or aucune trace de morphine ou dérivés voisins n’est détectable dans chacun des prélèvements. La poubelle de la salle de bain avait fait l’objet d’un scellé global mais non confié au laboratoire. Au fond, quasiment vide, se trouvait un résidu de pansement souillé collé à la paroi qui n’avait pas suscité jusque-là l’intérêt des investigateurs.

L’examen attentif révèle qu’il ne s’agit pas d’un pansement mais d’un fragment de patch (dispositif à libération transdermique) non identifiable macroscopiquement.
Son analyse permet d’identifier des traces de Fentanyl.
Aucun patch vide ou neuf n’a été retrouvé au domicile de la victime et le pharmacien qui lui dispensait habituellement le médicament indique qu’il n’avait pas eu de retour d’emballages usagés comme c’est la règle pour ces produits.

La trace « pansement souillé » est devenue « patch de Fentanyl » et en cela « indice potentiel de trafic de drogue » qui fut démontré par la suite.

L’investigation ultérieure, dont les détails ne sont pas utiles dans ce cadre, mit en évidence que des délinquants avaient pistés ce patient pour lui dérober son traitement à plusieurs reprises sous la menace, ce qui expliquait l’absence de fentanyl dans son sang et à son domicile ainsi que les traces de violence lors de leur dernière opération.

Sans un regard compétent et un discernement de l’expert, cette trace n’aurait pas été analysée. Par ailleurs, elle était source de multiples informations.
Elle révélait d’abord la cohérence entre la prescription et la présence de ce résiduel ancien du dispositif médicamenteux dans la poubelle du patient en dépit de l’absence de Fentanyl dans le sang.

Elle suggérait un mobile possible de l’intrusion de délinquants chez la victime.
De plus elle ouvrait une piste à la lutte contre un trafic naissant en France.

Le Fentanyl est un opioïde de synthèse plus puissant que la morphine et que l’héroïne avec des potentialités comparables en matière de flash recherché par les toxicomanes et en termes de dépendance. En 2004, le trafic de Fentanyl n’est pas encore très connu même si des overdoses par utilisation de patch ont été publiées depuis 1993. Elle deviendra « drogue de rue » dans les années qui suivront sous les noms de « China white, China girl, Héroïne de synthèse… »).

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