police scientifique flics de banlieue Émeute de banlieue - Villiers le bel - Novembre 2007

Jeunes flics de banlieue…

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Émeute de banlieue – Villiers le bel – Novembre 2007

Derrière les clichés, la réalité ordinaire des jeunes policiers de banlieue tient en un seul mot: statistique.
Le nerf de la guerre dans la police, c’est la statistique des infractions constatées et résolues. «C’est le dieu absolu, total», plaisante une source policière. Quelle que soit la couleur politique du gouvernement, la statistique de la délinquance et de la criminalité doit être positive. Dans l’idéal, elle doit indiquer une baisse des infractions constatées, qui pourra être interprétée par la communication publique gouvernementale comme une baisse de l’insécurité. Au pire, elle doit inclure, dans une catégorie d’infractions qui augmente, au moins une sous-catégorie qui baisse. En mentionnant la mauvaise nouvelle, la communication pourra ainsi en insérer une bonne dans la même phrase. L’exemple typique est une phrase formulée comme suit :

«Les vols ont augmenté, même si dans cette catégorie les vols de voiture sont en baisse.»

Derrière les clichés, la réalité ordinaire des jeunes policiers de banlieue tient en un seul mot:  statistiques.

Les jeunes policiers de banlieue touchent des primes au résultat si leurs statistiques individuelles sont bonnes. Elles sont cependant sans commune mesure avec la prime au résultat touchée par le commissaire. En ordre de grandeur, cette prime peut équivaloir à une année de salaire d’un gardien de la paix de base et peser entre un tiers et la moitié de la rémunération annuelle totale du commissaire. C’est particulièrement vrai pour le commissaire de banlieue. Ce territoire étant beaucoup plus difficile que la moyenne, c’est en effet souvent un commissaire jeune et sans relations qui y est affecté. Il ne gagne donc que le salaire de base d’un commissaire débutant: son incitation financière à atteindre les objectifs statistiques est par conséquent d’autant plus forte. Il n’est cependant pas seul: toute sa chaîne de commandement est financièrement intéressée, et plus on monte en hiérarchie plus les primes augmentent.

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La relation des jeunes flics de banlieue avec leur commissaire va ainsi beaucoup ressembler à celles qu’entretiennent les directeurs d’hôpitaux publics avec les fonctionnaires hospitaliers de terrain : le chef a une approche fondamentalement comptable des activités de la maison, et puisque la forte prime à la clé l’incite vigoureusement à atteindre ses objectifs de performance, il tend à jouer contre son personnel pour atteindre ces objectifs. Il est également conduit par les mêmes paramètres à négliger la qualité du service en tant que telle pour se focaliser sur les objectifs chiffrés à remplir, quitte à entrer régulièrement en conflit avec ses subordonnés sur ce thème. Il y a de fait une parenté de situation entre le policier de base en conflit avec son commissaire parce qu’il fait pression sur lui pour lui faire remplir davantage de PV au lieu de traquer des délinquances plus graves dans le quartier; et le chef de service hospitalier en conflit avec le directeur de l’établissement parce que celui-ci compte supprimer des lits afin de satisfaire les objectifs de réduction des coûts fixés par son ARS (Agence régionale de santé).
Cela posé, contrairement à ce que l’on pourrait spontanément imaginer, s’attaquer frontalement à des réseaux criminels ou à des centres névralgiques de la délinquance n’est pas une bonne approche pour remplir les objectifs statistiques d’un commissariat de banlieue. Au contraire, donner ainsi des coups de pied dans les fourmilières et les nids de frelons risque d’entraîner: des échanges de tirs; des blessés par balle –ou pire– parmi les policiers; du tapage médiatique sur le thème de la bavure si un délinquant ou un criminel est blessé ou tué; un encombrement de procédures d’interpellation au commissariat et derrière, un embouteillage dans toute la chaîne pénale; une multiplication des infractions non résolues, en particulier les délits de fuite; des arrêts maladie par surmenage des effectifs; et ainsi de suite. Directement ou indirectement, toutes ces conséquences vont dégrader les statistiques du commissariat, et non pas les améliorer. Ce mode d’évaluation des performances de la police conduit donc ces commissariats à éviter de s’attaquer rudement et globalement aux cœurs de criminalité et de délinquance de leurs cités. Les jeunes policiers de banlieue recevront donc des instructions dans ce sens et rongeront leur frein.

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Plus grave, l’enjeu financier pour ces jeunes policiers et, surtout, pour leur hiérarchie, est une incitation objective à «optimiser» les statistiques. La méthode la plus simple, la plus classique et la plus connue est de noter l’infraction sous forme de main courante sans prendre la plainte. La main courante est en effet un simple registre tenu dans le commissariat: les faits y sont juste couchés par écrit, sans qu’une plainte soit dûment enregistrée. Une méthode plus brutale consiste à nier abusivement que l’infraction en soit une, et pour inviter plus ou moins aimablement le plaignant à passer son chemin. Méthode au contraire plus sophistiquée: admettre que la plainte est recevable, mais refuser de la prendre en invoquant un motif technique. Par exemple, alors que vous venez suite au vol de votre téléphone portable, le policier de garde vous répondra que si vous n’avez pas sur vous le «code IMEI» de l’appareil, il ne peut pas prendre votre plainte. Des approches plus élaborées consisteront, le cas échéant, à développer des discours manipulatoires envers l’usager pour lui faire conclure que porter plainte ne servira à rien, que le temps d’attente va être inutilement monstrueux, etc.

Dans ce contexte très contraint, l’art de satisfaire la hiérarchie va devenir, pour les jeunes policiers de banlieue, un exercice délicat d’équilibriste. Il faut améliorer les statistiques, idéalement dans toutes les catégories de crimes et de délits. Il faut cependant qu’elles soient meilleures sans que cela donne un déni de réalité flagrant face à l’explosion d’une catégorie de criminalité ou de

délinquance sur le terrain du côté des victimes. Et il faut les améliorer sans faire de vagues au point de provoquer un conflit avec les réseaux criminels et délinquants.

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