Le protocole utilisé pour effectuer les comparaisons entre les traces papillaires digitales ou palmaires et les empreintes se nomme ACE-V.
La plupart des spécialistes utilisent le protocole dit ACE-V, ou un protocole comparable, pour effectuer des comparaisons papillaires.
Le protocole ACE-V décrit simplement le processus dans lequel une analyse précède une comparaison, suite à laquelle les caractéristiques comparées sont évaluées, processus qui est alors répété par un deuxième spécialiste (Vérification).
Toutefois, dans la pratique, ces différentes étapes ne sont pas nécessairement aussi clairement séparées que ce que suggère l’énoncé.
Je vais vous détailler les différentes étapes dans les paragraphes qui suivents, pour des comparaisons entre traces et empreintes, mais elles sont identiques pour des comparaisons entre empreintes (même si, dans ce deuxième cadre, le manque de clarté ou la présence de fortes distorsions devraient généralement être moindres).
Phase d’analyse
Lors de l’analyse, le spécialiste de Police Technique et Scientifique (PTS) s’intéresse à la trace, sans se référer aux empreintes encrées auxquelles la trace sera comparée par la suite.
Il s’agit essentiellement d’une phase d’acquisition de données sur la base de stigmates laissés en tant que trace.
Durant cette étape, les caractéristiques visibles sur la trace sont repérées en leur associant un degré de fiabilité.
Il s’agit également de déterminer la qualité de la trace dans sa globalité, de déterminer la présence d’effets dus au transfert d’une surface courbe et malléable sur une autre surface (distorsions) ou dus aux différents traitements.
Tous ces facteurs permettent d’établir des tolérances pour les caractéristiques relevées, soit le degré de confiance que le spécialiste peut avoir par rapport à chacune des caractéristiques.
Par degré de confiance il est fait ici référence aux attentes (hautes ou faibles) de retrouver les caractéristiques observées sur la trace sur l’empreinte de référence lui correspondant lorsque celle-ci serait soumise.
La tolérance tient compte des incertitudes quant au placement exact d’une caractéristique, son type ou sa forme exacte.
De l’incertitude peut également être manifeste quant à la présence même d’une caractéristique, si par exemple elle se trouve dans une région de la trace où la visibilité des crêtes est très mauvaise.
Cette phase d’analyse et ses résultats doivent être documentés, afin que l’on puisse faire état à qui de droit des caractéristiques relevées et des fiabilités obtenues uniquement durant cette première phase sans référence aucune à l’empreinte.
La phase d’analyse ne concerne toutefois pas uniquement la trace, mais aussi l’empreinte.
Souvent, dans le cas des empreintes encrées, l’analyse se limite à vérifier la bonne qualité de la saisie ; une analyse plus conséquente ne devient nécessaire que lorsque le matériel de comparaison n’est pas de bonne qualité. Désormais les bornes de signalisation T1 et T4 permettent de scanner directement les mains des individus mis en causes lors de leur Garde À Vue (GAV).
Une fois l’analyse terminée, le spécialiste en dactyloscopie prend une décision quant à la possibilité de comparer la trace à des empreintes de référence. Pour une recherche dans un système AFIS (en France le FAED : Fichier Automatisé des Empreintes Digitales), il est courant de privilégier les traces présentant au moins douze minuties ( huit aux États-Unis d’Amérique) pour une recherche efficace, alors que pour la comparaison à un nombre restreint de fiches décadactylaires, il n’existe pas de limite en terme de nombre de minuties déterminant les possibilités d’exploitation.
A partir du moment où une trace offre un potentiel d’exclusion face à des empreintes de référence, celle-ci devient de facto exploitable.
À l’issue de l’analyse, il est aussi déterminé si la trace serait identifiée dans le cas où une empreinte (de qualité suffisante et montrant la région reproduite sur la trace) de la même source était disponible.
Phase de comparaison
Lors de la phase de comparaison, les caractéristiques relevées sur la trace en phase d’analyse sont recherchées sur l’empreinte de référence.
Cette empreinte peut donc soit être issue d’une recherche FAED qui présélectionne des candidats dont les empreintes se rapprochent du dessin papillaire de la trace, soit provenir d’un ensemble de fiches restreint.
Toutes les caractéristiques décrites dans l’introduction doivent être comparées.
Dans ce cadre, il convient d’adopter une démarche allant du général au particulier, démarche commune à l’ensemble des sciences forensiques.
Ce sont toujours les caractéristiques de la trace qui sont recherchées sur l’empreinte, et non l’inverse.
Le processus où les caractéristiques de l’empreinte sont recherchées sur la trace souffre d’un risque évident de biais.
Les biais découlent directement des qualités différentes de la trace et de l’empreinte : dans le premier cas, on dispose le plus souvent d’une image souvent mal contrastée qui se prête à l’interprétation, alors que, dans le deuxième, les caractéristiques sont de façon générale très nettes.
Ainsi, le spécialiste pourrait-il être influencé par les caractéristiques relevées sur l’impression nette, et en déduire sa présence dans une zone floue de la trace (alors que ces caractéristiques ne sont pas visibles au seul examen de la trace).
Au minimum, les caractéristiques trouvées lors d’un processus allant de l’empreinte à la trace devraient être documentées séparément.
En revanche, des différences doivent être activement recherchées, c’est-à-dire qu’il doit être déterminé si des caractéristiques visibles sur l’empreinte, et qui devraient donc l’être également sur la trace (au vu de la région reproduite et de sa netteté), ne le sont pas.
Lorsque le processus de comparaison est effectué du général au particulier, une comparaison des arrangements de crêtes n’est effectuée que si le flux général des crêtes correspond.
A ce stade, il est conseillé de suivre les crêtes et les vallées entièrement, plutôt que de comparer uniquement les points fixes que sont les minuties.
La comparaison des crêtes et des vallées inclut la comparaison non seulement de leurs directions (et des changements de direction le cas échéant), mais aussi de la longueur, de la séquence, et parfois de l’épaisseur des crêtes.
Finalement, une fois que des arrangements de crêtes concordants (ou plutôt compatibles au vu de la tolérance fixée lors de l’analyse) ont été identifiés, les pores et bords de crêtes éventuellement visibles sur la trace sont comparés.
L’étape de comparaison est essentiellement factuelle et devrait à nouveau s’accompagner d’une documentation permettant de savoir quelles caractéristiques ont été trouvées en concordance et lesquelles ont été déterminées comme étant différentes.
Malheureusement la documentation de cette étape est souvent négligée, et il est rare qu’une démonstration de l’identification au rapport 5 soit demandée telle que l’exemple montré dans les photos ci-dessous.
L’absence de documentation lors de cette étape (comme pour toute étape) peut s’avérer problématique dans le cas où il y a désaccord sur le résultat final.
Phase d’évaluation
L’évaluation est l’étape durant laquelle l’ expert en dactyloscopie pondère la valeur des correspondances et des éventuelles différences relevées lors de la comparaison.
Deux éléments rentrent alors en ligne de compte : d’une part, la qualité des concordances et, d’autre part, la rareté de la configuration observée.
A l’issue de l’évaluation, une conclusion est formulée.
Dans ce domaine trois conclusions sont fréquemment et presque exclusivement utilisées : l’« individualisation » (généralement appelée aussi « identification »), l’« exclusion », et la conclusion « indéterminé ».
Lorsque la conclusion est l’individualisation, cela signifie que la source de la trace et de l’empreinte est la même, à l’exclusion de toute autre source.
Une exclusion veut dire que la trace et l’empreinte n’ont pas la même source.
Finalement, la conclusion « indéterminé » indique qu’il n’y a pas assez d’éléments dans la comparaison, ni pour une identification, ni pour une exclusion.
De différences observées au niveau du flux des crêtes (par exemple, la trace montrant une boucle et l’empreinte un verticille) vont permettre d’exclure que la trace et l’empreinte proviennent de la même surface papillaire.
A tous les niveaux, l’observation d’une divergence plus grande que celle autorisée par les tolérances définies lors de l’analyse va mener à une exclusion. On parle de doctrine de la dissimilitude unique.
Consécutivement, l’absence de telles divergences est l’une des conditions nécessaires à l’identification.
S’il n’y a pas de telles discordances, les correspondances observées sont pondérées par le spécialiste en identification de trace papillaire, qui se réfère alors aux standards nécessaires à l’identification.
Le spécialiste va conclure à une individualisation lorsqu’il observe tellement de concordances dans les caractéristiques (à tous les niveaux) visibles que la probabilité de les observer, si les impressions venaient de doigts différents, est estimée comme étant nulle ou pour le moins comme négligeable.
Dans tous les autres cas, c’est-à-dire lorsque le nombre ou la qualité de concordances sont insuffisants, la conclusion sera « indéterminée ».
Cela même si un certain nombre de concordances, et d’une valeur discriminante potentiellement élevée, est visible.
Dans de tels cas, on peut considérer que l’élément représenté par la comparaison dactyloscopique pourrait fournir un élément corroboratif à l’appui d’une source commune sans toutefois que la mise en relation offre une certitude quant à l’identité de source.
De tels éléments de présomption ne sont que rarement portés à l’attention du système judiciaire, malgré l’information importante (mais incertaine) qu’ils pourraient amener, et cela est regrettable.
L’approche dominante de la profession est donc conservatrice et limite globalement le potentiel de l’indice dactyloscopique.
Il existe, chez les spécialistes, un refus de formuler des conclusions autres que catégoriques, une majorité d’entre eux niant la pertinence de la formulation de conclusions probabilistes.
Souvent, ce refus se base sur un argument diffus et fallacieux invoquant l’individualité de l’empreinte : « si chaque empreinte est unique, il n’y a pas d’incertitude exprimée à l’issue d’une comparaison ».
Toutefois, force est de constater que l’information contenue dans une trace n’est que partielle ; ainsi, même en acceptant le principe de l’unicité des empreintes papillaires, son application à des traces partielles, et parfois d’une visibilité rendue difficile par le support, n’est pas triviale et fait forcément intervenir une inférence probabiliste.
Malheureusement la plupart des spécialistes ne sont pas à l’aise pour formuler une conclusion en termes de probabilités.
Actuellement différents modèles statistiques permettent de quantifier la contribution statistique des arrangements papillaires.
Des outils nécessaires pour formuler des avis qualifiés basés sur des données seront donc disponibles à l’avenir, et permettront de développer une approche incluant un plus large éventail de conclusions possibles.
L’argument selon lequel une approche probabiliste du domaine l’affaiblirait est largement compensé par la possibilité d’utiliser des traces qui ne sont pas identifiables (et dont la valeur pourrait être intégrée sous forme probabiliste), par l’introduction d’une transparence et d’une objectivité.
Phase de vérification
La vérification est la dernière phase du protocole ACE-V.
Elle est effectuée par un deuxième spécialiste en dactyloscopie qui effectue, à nouveau, les trois étapes du protocole (ACE).
Le but de cette étape est de vérifier qu’un autre spécialiste parvient à la même conclusion que le premier de façon indépendante.
Cette étape est considérée, par beaucoup, comme le meilleur outil d’assurance qualité qui puisse être mis en place.
Toutefois, pour que la vérification remplisse totalement sa fonction, il est nécessaire que les différentes étapes soient bien documentées dans chacun des deux processus ACE, et il est également nécessaire que le bureau d’identification ait mis en place des processus destinés à gérer les différences d’opinion pouvant survenir… car parfois cela arrive…
Ce deuxième point est primordial par rapport à l’importance qui peut être donnée à la vérification.
Idéalement, cette vérification devrait s’effectuer en aveugle, autrement dit le deuxième spécialiste ne devrait pas connaître la conclusion du premier, ni la façon dont il est arrivé à celle-ci.
Toutefois, la révision indépendante est difficile à assurer dans des petits départements qui traitent beaucoup de dossiers.
Aussi, du fait de contraintes de temps et de personnel, peu de départements ont implémenté la vérification dans des cas de traces non identifiées.
Outre à des contraintes financières, cela peut aussi être dû au fait qu’une identification qui n’est, à tort, pas effectuée, est actuellement considérée comme étant moins grave qu’une fausse identification.
Des étapes supplémentaires peuvent être ajoutées.
En Angleterre, il y a ainsi une deuxième vérification.
Cette étape supplémentaire est présentée comme pouvant pallier toute erreur d’identification, mais il n’est pas certain qu’une vérification quasi indépendante supplémentaire fournisse effectivement une telle garantie.
En particulier, si ces vérifications se déroulent dans un environnement où la possibilité d’une erreur n’est pas du tout admise, et qui est dominé par la croyance que plus d’expérience équivaut à plus de compétence, il n’est pas certain que la vérification remplisse vraiment la fonction qui lui est attribuée.