Tous les standards discutés ci-après s’appliquent à tous les types de comparaisons, qu’il s’agisse de comparaisons trace-empreinte, empreinte-empreinte ou trace-trace.

Pour les empreintes prises dans des conditions standardisées, il n’a jamais été trouvé de cas où deux personnes différentes présentaient des arrangements papillaires qui ne pouvaient pas être distingués.
Cette observation se base toutefois sur l’utilisation de l’ensemble complet des empreintes des dix doigts ( décadactylaire ).
Ces observations empiriques, combinées aux connaissances de morphogenèse des lignes papillaires concourent à un argumentaire fort en faveur de l’unicité de ces configurations.
Et nous ne voyons qu’un risque minime à admettre l’identification comme établie lorsque les comparaisons reposent sur une telle richesse d’informations papillaires.

Le problème est tout autre dans le cas des traces relevées en association avec des délits : elles sont d’une moins bonne qualité, souvent partielles, distordues, d’une clarté réduite.
Dans ce cadre, il n’est pas trivial de pouvoir appliquer la prémisse de l’unicité sans porter une attention particulière à la quantité et à la qualité de l’information mise à disposition par la trace.
En d’autres termes, la capacité d’un expert à distinguer des entités de sources différentes dépend intimement des qualités de la trace.

La conclusion d’identification (ou individualisation) par les empreintes papillaires signifie que les deux impressions en examen proviennent de la même surface papillaire, à l’exclusion de toutes les autres.
L’expression « à l’exclusion de toutes les autres » inclut toutes les impressions qui existent à un moment donné sur la surface du globe.
On parle de paradigme de la terre entière.
De façon générale, une conclusion en regard d’une telle population ne s’impose pas dans la majorité des dossiers, vu le nombre généralement plus restreint de personnes pouvant avoir laissé la trace.
Dans la plupart des cas, en effet, la véritable source de la trace fait partie d’un groupe restreint de personnes.
Il est donc intéressant de noter que la profession dactyloscopique ait ressenti le besoin de statuer en de tels termes dépassant systématiquement la force d’indice qui serait considérée comme utile et nécessaire dans le contexte d’un dossier présenté dans un tribunal.

Les standards d’identification sont de deux types dans la pratique :

  • soit un nombre de caractéristiques concordantes doit être atteint sans discordance, on parle alors de standard numérique ou d’approche empirique,
  • soit la décision est basée essentiellement sur l’opinion du spécialiste en dactyloscopie à la lumière de la spécificité des caractéristiques observées, on parle alors d’approche holistique.

Le recours à une appréciation probabiliste, subjective ou mesurée par des modèles statistiques, constitue une troisième voie actuellement peu exploitée par les praticiens.

standards identification traces papillaires

Identification positive nommée « hit » entre l’empreinte digitale relevée sur l’individu mis en cause (à gauche) et la trace révélée et prélevée sur la scène de crime (à droite).

 

Standards numériques (ou empiriques)

Le 20ème siècle a d’abord vu l’établissement de standards numériques dans la plupart des pays, mais, vers la fin du siècle, plusieurs pays ont pris la décision d’abandonner de tels standards.

Pour les partisans de l’approche empirique, il est à relever que les standards numériques varient entre pays, ce qui ne facilite pas les échanges internationaux.
Certains pays considèrent l’identification possible entre 8 et 12 minuties (Allemagne, entre 10-12 pour la Hollande), d’autres utilisent un standard fixé à 10 (Tchéquie) ou 12 minuties (France, Belgique, Espagne, pays sud-américains). L’Italie pour sa part s’est fixé un standard de 16 à 17 points.

Historiquement, trois travaux français sont à l’origine de la majorité des standards numériques : la règle tripartite de Locard, une publication de Bertillon, ou un modèle statistique proposé par Balthazard.

La règle tripartite de Locard de 1914 s’articule de la manière suivante :

  • Il y a plus de douze points concordants ; l’empreinte est nette; la certitude d’identité est indiscutable pour tous,
  • Il y a 8 à 12 points, la certitude est fonction :
  1. de la netteté de l’empreinte ;
  2. de la rareté de son type ;
  3. de la présence du centre de figure ou du delta dans la partie déchiffrable ;
  4. de la présence des pores ;
  5. de la parfaite et évidente identité de largeur des crêtes et sillons papillaires, de direction des lignes et de valeur angulaire des bifurcations.
  • Il y a très peu de points : dans ce cas, la trace ne fournit plus de certitude, mais seulement une présomption proportionnelle au nombre des points et à leur netteté.

 

Les pratiques centrées sur 12, ou 8 à 12 minuties tirent leur origine dans les deux premiers points de la règle tripartite de Locard.
La pratique française est donc focalisée sur une règle rigide à 12 minuties.
Comme indiqué précédemment , la troisième option de la règle tripartite de Locard n’est que peu retenue par les experts en dactyloscopie.
La publication de Bertillon quant à elle présente entre autres deux empreintes de sources différentes avec une correspondance approximative de 16 points (moyennant des retouches effectuées par l’auteur).
L’intention de Bertillon n’était pas de débattre de la question du nombre de minuties nécessaires à une identification mais surtout de relever l’importance de l’absence de discordances dans le processus dactyloscopique. Son texte fut largement ignoré dans le monde anglo-saxon et seules les images retouchées ont circulé.
Ces images sont connues pour être en partie à l’origine du standard de 16 points au Royaume-Uni.

Balthazard proposa en 1911 une justification statistique de la règle des 16 à 17 minuties nécessaires à une identification.
Ses travaux sont cités régulièrement dans la jurisprudence italienne relative au standard de 16 à 17 points.
Or le modèle de Balthazard repose sur des prémisses fallacieuses. Ces lacunes furent identifiées dans la littérature spécialisée dès sa publication.

Parmi ces trois sources possibles des différents standards, aucune n’est basée sur des études valides et reconnues de traces et d’empreintes.

 

Approche holistique

Les travaux vers l’abandon des standards numériques ont débuté dans les années 1970.
En 1973, un organisme professionnel américain, l’ International Association for Identification (IAI), déclara qu’il n’y avait pas de raison valide pour un standard numérique (un nombre minimal de minuties), entraînant alors plusieurs pays dans un processus d’abandon du standard numérique (souvent à 12 points).
C’est la base de l’approche holistique où l’expert en traces et empreintes est invité à prendre une décision au cas par cas en fonction des qualités intrinsèques de la trace, ceci en fonction de sa formation et son expérience.
Jusque vers les années 2000, seuls le Canada, les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande opéraient selon cette directive de l’ IAI.
Puis à la suite d’une étude britannique, l’Angleterre et le pays de Galle ont abandonné le standard numérique, qui était de 16 points, en 2001.
En Suisse, le standard numérique de 12 points fût abandonné en 2007 à la suite de travaux collaboratifs comparables à ceux menés en Angleterre.
L’Ecosse a également aboli son standard de 16 points en 2007.

En 1995 à Ne’Urim en Israël, la résolution de l’IAI a été confirmée dans une formulation modifiée pour tenir compte d’une base jurisprudentielle dans certains pays (dont l’Italie).
Elle affirme maintenant qu’aucune base scientifique n’existe pour requérir un nombre minimal de caractéristiques en concordance entre une trace et une empreinte afin d’individualiser.

Cette résolution se base principalement sur les arguments suivants :

  •  la proportion des dessins généraux dans la population est très variable d’une classe à l’autre. Par exemple, certains types d’arcs sont très rares, au point qu’ils restreignent la population de donneurs potentiels d’un facteur dix fois supérieur à celui de verticilles. Or, un système de standard numérique ne tient pas compte des différences de fréquence des différents dessins généraux.
  •  La rareté des types de minuties est également variable. Cette rareté est fonction, en particulier, du type de la minutie et de sa position sur la surface papillaire. D’un point de vue statistique, le fait d’attribuer un poids identique à toutes les minuties – ce qui est sous-entendu dans un standard numérique – n’est pas défendable. Des études statistiques récentes ont pu démontrer que la valeur de l’information offerte par des configurations de seulement trois minuties pouvait être très grande. Certaines configurations comportant un nombre de minuties parfois restreint peuvent néanmoins peser de manière importante en faveur de l’hypothèse d’une source commune pour deux impressions (par rapport à l’hypothèse inverse de sources différentes).
  •  Lorsque la qualité de la trace (et de l’empreinte) le permet, des caractéristiques de niveau 3 telles que les positionnements des pores et les formes des bords de crêtes peuvent apporter du poids (sans être déterminant à eux seuls) dans la décision d’identification. Or, il n’y a pas moyen de tenir compte de ces caractéristiques dans le cadre d’un standard numérique.

L’approche holistique préconisée par l’IAI tient compte de tout type de caractéristique, mais aussi de la netteté des particularités observées. Elle est proposée en 1999 par David Ashbaugh sous le nom de ridgeology. Ainsi à la question « quelles sont les caractéristiques utilisées pour conclure à une identification ? », la réponse est souvent « toutes ». La décision ultime se base ici sur l’appréciation par l’expert des caractéristiques prises sur les trois niveaux. Les notions de qualité et de quantité sont, dans l’approche holistique, considérées de façon conjointe. En effet, beaucoup de détails de faible qualité sont considérés comme possédant la même valeur que celle de quelques détails de très bonne clarté.

 

Approche par modèle statistique

Actuellement les experts en dactyloscopie de la police scientifique font peu appel à des modèles statistiques permettant de les guider quant à la valeur du lien mis en évidence pendant la phase de comparaison.
Des données sur les fréquences des minuties dans des populations d’empreintes sont disponibles, mais s’avèrent difficiles à utiliser dans une comparaison donnée, hormis pour apporter un soutien à l’appréciation de la valeur d’un groupe de minuties observé.

La grande majorité des modèles se base sur les minuties, mais quelques modèles s’intéressent également aux pores.
Les premiers développements datant du début du 20ème siècle jusqu’à la fin des années 1990 s’intéressaient principalement à la probabilité de correspondance fortuite.
Ces modèles ne prenaient pas en compte la variabilité qui peut exister entre différentes impressions d’un même doigt.
Ainsi, les probabilités de correspondance fortuite sont souvent basées sur une correspondance exacte entre deux impressions, sans tenir compte de la tolérance qui est admise lors d’une comparaison effectuée dans le cadre forensique (comme évoqué dans un précédent article sur la comparaison des traces papillaires et des empreintes lors de la phase d’analyse).
Les modèles les plus récents intègrent une telle tolérance, en particulier au niveau des types de minuties ou de leur positionnement. Ils tiennent compte, dans un rapport de vraisemblance, aussi bien de l’intravariabilité (les différences qui peuvent être observées entre plusieurs impressions du même doigt) et de l’intervariabilité (les différences observées entre impressions de doigts différents).

Ces développements apportent de nouveaux outils aux practiciens pour une appréciation de la force de l’indice dactyloscopique en toute transparence.

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