Parlons du rôle et limites de la trace en police scientifique.
Introduction à la trace en PTS
Le mot trace est intimement lié à l’activité de la police scientifique et à la science forensique.
A propos du respect que doit inspirer la trace, Pierre Margot, s’exprime ainsi « la raison d’être de la police scientifique et des moyens d’investigation scientifique qu’offre la science forensique provient de la trace et de son étude et que tout ce qui fait la richesse de cette étude butte sur une absence de définition et de formalisme dont la langue s’est accommodée par l’usage et le sens commun ».
Cette absence de rigueur sémantique qui fait, comme le précise le directeur de l’Institut de Police Scientifique de Lausanne, que : « se voient confondues comme synonymes des notions dont les nuances sont essentielles pour le spécialiste des traces : traces, signes, indices, empreintes », tant par le grand public que par certains professionnels pour lesquels le mot revêt parfois des « significations restrictives divergentes et qui ne voient pas la trace comme vecteur transversal de connaissance, mais plutôt comme un problème technique ou analytique à résoudre en laissant implicites les dimensions fondamentales de l’idée de « trace » et de son potentiel ».
Cet article s’efforce de lever certaines incertitudes de vocabulaire afin que vous puissiez appréhender ce mot clé essentiel de « trace » au sein d’une terminologie spécifique dans tout son sens expertal et seulement dans celui-ci.
Définition de la trace
Le dictionnaire Littré donne diverses acceptions au mot trace : c’est d’abord le « vestige qu’un homme ou un animal laisse à l’endroit où il est passé » ce sens donné à partir du 14ème siècle fut suivi de nombreux autres.
C’est aussi « l’exemple à suivre », ou « la marque, l’impression que laisse un chariot, un carrosse » ou « toute marque laissée par une chose » illustrés par de nombreux exemples comme : « il porte sur son visage la trace de longues souffrances » ou « qu’on remue ces ruines, on trouvera dans les restes de ce bâtiment renversé et les traces de ses fondations et l’idée du premier dessin (Bossuet) » c’est le sens des traces archéologiques témoignant de civilisations anciennes.
Le « Littré » reste une référence du 19ème siècle même dans ses éditions ultérieures.
Le mot cependant revêt des acceptions modernes dans plusieurs domaines.
Avec le développement de la chimie d’autres définitions sont apparues intégrant le concept de faibles quantités.
Est apparue la notion d’éléments traces, c’est-à-dire dans un premier temps en géochimie, pour nommer les impuretés élémentaires présentes en faibles quantités dans les minéraux qui par la suite ont bénéficié d’une abondante synonymie (éléments en traces, oligoéléments, éléments rares, dispersés, mineurs…).
Puis, la notion de proximité du seuil de détection des appareils de mesure a supporté ce concept de trace quantitative en lui donnant un caractère variable supplémentaire compte tenu de la fulgurance des progrès des moyens analytiques.
Ce type de résultats « sans dimensions » qui signait l’incompétence des analystes à dire mieux, a fait, en deux décennies, passer la trace de 10-6 grammes à 10-21 g indiquant ainsi que la même entité trace avait réduit son espace d’un million de milliards de fois (1015 fois).
Cette quantité peut n’avoir aucune signification particulière.
Le chimiste ne fait que mentionner en fin de rapport une information généralement non prise en compte après une série de chiffres significatifs … et des traces de …
En revanche, l’expert toxicologue par exemple, peut en faire grand cas car elle peut signer la présence d’une impureté toxique dans un médicament, ou le témoignage, dans un milieu biologique, d’une substance qui même non quantifiable n’a pas lieu de s’y trouver.
En fait, cette difficulté sémantique impose de « tracer » en police scientifique un périmètre large mais bien défini de la trace.
Le caractère accessoire voire inopportun de la trace du chimiste doit faire place au caractère exclusif de sa recherche exhaustive qui constitue la pierre angulaire de l’activité de l’expert en police scientifique.
Qu’elle soit la conséquence d’un acte volontaire ou le plus souvent inconscient, une trace existe par elle-même et revêt une signification quelle qu’elle soit physiquement et dans sa nature (marque, traces papillaires, particule, son, image…).
Sa préservation est essentielle tant au moment de sa mise en évidence que lors de son analyse qui requiert impérativement l’emploi de méthodes conservant au maximum son intégrité.
Il doit toujours être possible de la réexaminer.
La trace matérielle est donc :
Une marque (trace d’étranglement), un signal (tache de sang, trace de pas, bruit dans un enregistrement) ou un objet (cheveu, résidu sous des ongles, stygmates de tirs sur un étui percuté…).
La trace est un signe apparent (pas toujours visible à l’œil nu comme la trace métabolique du passage d’un toxique dans l’organisme…).
Elle est le « vestige » d’une présence et/ou d’une action.
Enseignements déductibles de la trace
Elle doit être préservée et identifiée comme liée directement ou indirectement ou totalement indépendante de l’événement qui a motivé l’expertise policière.
Il s’ensuit que dans un cadre de scène de crime le problème majeur auquel est confronté l’expert est de faire le tri et d’exclure le plus rapidement possible ces traces indépendantes, de loin les plus nombreuses et qui sont des éléments contaminant l’enquête expertale.
En effet, elles sont souvent le fait involontaire des premiers intervenants qui sont les personnes ayant découvert le crime, les proches ou voisins de la ou des victimes, les secouristes, ou encore le fait de prédateurs (insectes, animaux, humains…).
Bien qu’indépendantes, ces traces sont matérielles et existent réellement avec leur signification propre.
Une notion importante découle de cette matérialité, c’est la fragilité de la trace et son caractère possiblement éphémère.
Par ailleurs, lorsque la trace est découverte et isolée, elle existe depuis sa formation mais l’épisode qui précède cette dernière ne peut être que reconstruit par des hypothèses.
Cette tâche délicate est souvent compliquée par le caractère partiel, incomplet voire dégradé au moment de l’observation puis évolutif ou périssable du matériel qui la constitue (c’est en particulier le cas de toutes les traces biologiques qui doivent être extraites de la scène de crime et maintenues au froid le plus tôt possible pour être exploitables (sperme, salive…).
Généralement elle est pathognomonique de l’action qui l’a engendrée et par suite de l’acteur.
Elle peut être naturellement présente sur le site où elle est découverte mais elle est plus précieuse si ce n’est pas le cas, le lieu et le moment de l’action qu’elle évoque constituent alors un indice exploitable.
Toutefois en dépit des incidences précédentes, cette matérialité, rend possible une description, ainsi que la pratique de mesures et d’analyses chimiques, physiques et biologiques qu’il est alors loisible de confronter à des bases de données.
Le caractère évolutif qui peut-être un handicap est parfois une chance. C’est par exemple la disparition rapide de l’héroïne du sang d’une victime (en moins de deux minutes) mais sa séquestration sous forme dégradée de monoacétylmorphine dans la bile pendant un plus long séjour et en quantité bien supérieure à celle du sang.
Grâce à cette transformation, il est permis d’affirmer la présence antérieure d’héroïne même en son absence et ce, malgré l’inexorable écoulement du temps et au caractère unique de l’action qui en est la cause.
Cet état de chose rend compte de la nécessité de pouvoir revenir sur la trace pour l’expertiser à nouveau et réviser sa première approche (rien dans le sang prélevé dans un premier temps sur un cadavre suspect de mort non naturelle ; recherche du prélèvement conservatoire de bile voire prélèvement postérieur de celle-ci pour recherche de la 6-monoacétyl-morphine).
Hélas, ce cas de figure n’est pas le plus fréquent, l’expert doit se contenter le plus souvent de reconstructions du déroulement d’événements restant pour le décideur judiciaire des conjectures plus ou moins validées.
Lorsque l’expert est venu à bout de ses inférences, il parvient parfois à lier la trace à sa source et au scénario potentiel qui l’a produite.
C’est alors que la trace devient un indice.
Il convient donc de valider la trace afin de la rendre utile ou sans intérêt pour l’enquête.